L'heuRe

C'est l'heure poignard. L'heure-terreur qui la rattrape et la saisit par le cou et la flanque à terre et la perce de mille et un trous. L'heure qui plante, l'heure qui lance. Et l'heure qui revient, incessante.
Elle voudrait jeter aux loups tous ses "âouououou", elle voudrait hurler sa douleur. Elle voudrait se retourner et la ruer de coups.

Elle est clouée au sol, recroquevillée sur sa béance, à se passer la main à travers les trous, à se convaincre qu'elle ne sent rien du tout. Elle est au sol, suffocante, s'appliquant à respirer à petites lampées, concentrée sur le rythme des poumons.

"Dis, est-ce que ça repousse un cœur qui fout le camp ? Et ça recommence après ? Dis Maman, est-ce que ça prend longtemps ?  C'est quand que j'ai plus mal Maman ? Tu ne m'avais pas dit. Pourquoi tu ne m'avais pas dit ?"

Parce que c'est vivre mon Enfant, et que je te souhaite vivante, ardemment.
Parce que tu porteras ta vie autant qu'elle te porte, autant que je t'ai portée.
Parce que dans la chute vers l'abîme abyssale se trouve la puissance de l'élan vers le haut. C'est une question de vent et de courant d'air chaud.
Parce que tu n'en mourras pas. Tu avaleras ta douleur et tu la digèreras, et tu te redresseras. Ce sera ta force alors.
Parce que ce chemin est le tien et que je ne pouvais pas en ôter toute la caillasse qui t'écorcherait les pieds. Je ne devais pas.

Plante ton regard dans le mien ma Fragile, je ne te lâche pas des yeux, tu ne sombreras pas. Je suis le fil qui te retient. Je suis le filet sous ton trapèze. Tu peux descendre plus bas, ma main ne lâchera pas.
J'ai mal de ta douleur mon Enfant, j'ai mal et je pleure et j'en meurs. Mais je n'ai pas peur, non, je n'ai pas peur.